Faut-il obligatoirement souffrir pour créer ?

En cette période si mouvementée où l’agressivité ambiante s’installe, je constate qu’une majorité de personnes, campées sur leurs certitudes et leur vérité, pointent du doigt, jugent, toisent. 

Il m’ a semblé important de rappeler que ces comportements ouvrent grand la porte à tous les « parleurs de malheurs », ces figures de notre psyché qui se régalent de nos doutes, nos peurs et nos haines. 

Or, cultiver ces « diseurs de malheur », ennemis de notre créativité, en projetant sur les autres sa colère, ne fait que nourrir les croyances et pensées négatives que l’on a sur soi. Résultat : On se critique aussi beaucoup et on tourne en rond en oubliant de s’ouvrir au monde, d’écouter, d’observer avec le cœur, alors que « l’essentiel est invisible pour les yeux » (Antoine de Saint-Exupéry).

Hier matin, après plusieurs jours de procrastination, la culpabilité m’a fait prendre ma guitare pour jouer mes morceaux fétiches et tenter de finaliser mes propres compositions. Je n’ai pas été motivée par le plaisir, mais par cette petite voix diabolique et assourdissante résonnant dans ma tête et reprochant ma fainéantise.

Résultat : je n’ai rien fait de bon et je me suis doublement flagellée. 

« Qu’est-ce que t’es nulle, tu n’arriveras jamais à rien… Franchement, t’es tout sauf une artiste… » et tout plein d’autres gentillesses du même acabit, en boucle. 

Le reste de ma journée s’est teintée d’une humeur maussade. Un jour sans.

Je suis pourtant une musicienne amatrice qui ne prétend pas faire carrière dans ce domaine. J’ai alors imaginé la souffrance du musicien professionnel qui subit la pression du label, du public, des dead-lines… et qui perd la joie de créer, qui perd ses repères d’artiste.

En me levant ce matin, je me suis demandée pourquoi je m’infligeais une telle souffrance ? Où était passé le plaisir de jouer et de casser joyeusement les oreilles de mes voisins. 

Autrement dit, où était passé cette transcendance magique des difficultés du quotidien par l’Art, dont nous avons tellement besoin aujourd’hui ?

Pour créer faut-il obligatoirement de la douleur, du sang, des larmes ?  L’image archétypale du poète maudit qui doit en baver pour créer est une croyance négative et toxique. 

En observant les enfants jouer, je suis comblée de constater à quel point leur imaginaire et la créativité qui en découle, sont exceptionnelles. Sont-ils dans la souffrance ? Absolument pas. Ils s’amusent

Et si notre baromètre était le plaisir et non plus, la douleur ? La joie plutôt que le drame ? 

On ne peut accéder au lâcher prise que dans la jouissance.

Cependant, tout n’est pas facile et amusant dans le travail de création.

La technique, par exemple, est souvent perçue comme laborieuse mais indispensable à la qualité des œuvres. Être dans le plaisir ne signifie pas se satisfaire de la médiocrité pour éviter toutes difficultés. Créer est forcément inconfortable et nous fait vivre des bouleversements émotionnels importants. cf. mon précédent article « La création ne souffre pas la complaisance » (http://karinemarchi.fr/index.php/2021/02/08/466/).

Alors, comment trouver l’équilibre entre contrainte et plaisir ? Comment rester dans le lâcher prise et le plaisir tout en avançant dans ses projets ?

Pour la technique rien n’empêche de la travailler en s’amusant. J’aime l’énergie de cette coach vocale (elle travaille d’ailleurs beaucoup avec les enfants) qui propose des vocalises pétillantes, même dans sa voiture : https://www.youtube.com/watch?v=qBXmJosemaY

Pourquoi ne pas accueillir les obstacles comme des challenges ? Être exigeant, c’est aussi se lancer des défis ! Et qui dit défi, dit excitation voire jouissance.

Et puis, le plaisir n’empêche, en rien, d’avoir un cadre. Dans tous les divertissements il y a des règles du jeu, non ? Alors, quelles sont les vôtres ? 

Pour mes écrits ou mes mises en scène, les idées me viennent principalement lors d’activités qui n’ont rien à voir : sous la douche, en courant, en faisant le ménage (mais oui, aussi ! la corvée peut devenir joyeuse).

Pire encore, quand j’écris je m’interromps régulièrement pour faire autre chose. 

D’ailleurs, c’est ici que je fais une pause dans l’écriture de cet article pour aller étendre le linge !

Dispersion diront certains. Peut-être, mais avant tout, ma manière de créer dans la distraction.

La distraction de l’artiste, souvent jugée comme un manque de sérieux, d’efficacité et de concentration, est, à mon sens, indispensable à l’inspiration. Comment capter des idées qui planent autour de nous, si l’on se cloître en soi ?

Je fais alors de réguliers aller-retours entre mon ordinateur et une autre tâche. Peut-être une manière d’alléger chaque activité. Le seul vrai danger est le moment où je suis happée par ce que j’écris et que j’en oublie le reste. Un cimetière de casseroles brûlées en témoigne. 

C’est ma manière de prendre du recul sur ce que je crée, libérer de la pression et voir l’ensemble du tableau pour mieux avancer, en faisant fi du résultat.

Alors oui, aujourd’hui, j’ai fait mes vocalises en coupant des légumes. Je vais certainement faire mes gammes en regardant une série. Et j’aurais fini ma compo sans effort, inspirée par le chant des oiseaux que j’observais en rêvant. 

Peu conventionnel je vous l’accorde mais j’aurai pris tellement plus de plaisir à jouer. 

Je ne prétends pas avoir la solution pour créer. Je souhaitais partager avec vous une expérience et peut-être déculpabiliser, un peu, ceux qui, comme moi, souffre de perfectionnisme aigu et d’auto critique facile.

Pour ceux qui veulent tenter l’expérience je vous conseille de toujours avoir à portée de main, un calepin pour écrire ou dessiner, et un enregistreur. Bon ça c’est pour les dinosaures comme moi. Un smartphone fait tout aussi bien l’affaire.

Je vous souhaite une création libre et joyeuse. 

L’acte créateur ne souffre pas la complaisance.

L’acte créateur ne souffre pas la complaisance.

Nous faisons bien souvent l’erreur de manquer d’exigence par facilité ou orgueil, par peur des conflits ou des contradictions… ou tout simplement par lâcheté.

Pour créer, il faut accepter de se salir les mains. Faire trop propre par « respect », ou par peur du jugement, revient à ne pas faire de choix artistique. Or, créer c’est oser offrir son regard singulier et son interprétation au monde, au risque de ne pas être approuvé par la majorité bien-pensante, car, créer, c’est, justement, prendre un risque.

Donner naissance à une œuvre demande du « courage », autrement dit, l’énergie et la puissance de la « rage au cœur », comme nous le répétait régulièrement mon professeur de théâtre, Luc Charpentier.

Accoucher d’une oeuvre est souvent source de douleur. Pas de péridurale pour l’artiste. Pas de demi-mesure ou de tiédeur. Il faut miser comme au poker, et miser gros. Lorsque l’on crée, on se mise soi, tout entier. On s’expose à la lumière et à la critique. C’est le jeu.

Allant de pair avec l’exigence, il y a la patience. Vouloir se précipiter pour se débarrasser d’un texte, d’une musique, d’un tableau que l’on a retouché trop souvent et que l’on ne peut plus voir en peinture, ne donne pas de bons résultats. Dans ce cas, il vaut mieux faire une pause, pour laisser maturer et digérer l’œuvre avant de la reprendre pour, parfois, la revoir intégralement. 

Il faut aussi savoir s’entourer des « bonnes » personnes. Celles qui oseront vous dire ce qui ne va pas, au risque de vous blesser.  L’amour, non plus, ne souffre pas la complaisance.  Nos proches sont souvent plus sévères et c’est tant mieux. La personne qui vous veut du bien n’est-elle pas celle qui ose vous dire quand vous avez une feuille de salade coincée entre les dents ? 

L’artiste qui ne sait pas recevoir la critique a peu de chance d’aboutir. 

Soyons honnêtes, la critique fait mal. Elle vient faire vibrer la corde sensible de la peur du jugement, de sa légitimité et de sa valeur. De quoi provoquer des remises en question existentielles noyées dans un tsunami émotionnel !  C’est d’autant plus vrai depuis que les « haters » sont à la mode sur les réseaux sociaux. Elle est pourtant indispensable. S’exposer fait partie du travail. Pas d’œuvre d’art sans public.

Attention cependant, tout n’est pas juste dans les retours. Ils sont faits souvent à travers un prisme déformant ; celui de la personnalité et de l’histoire de celui ou celle qui reçoit l’œuvre.  Donc, écouter le tout-venant et remettre en cause l’intégralité de son propos en fonction du dernier qui a parlé ne rend pas service à l’œuvre non plus. 

En effet, savoir recevoir la critique n’est pas un exercice facile. 

Comment faire le tri entre ce qui est dit pour notre bien et ce qui n’est que pure jalousie ? 

Comment faire la différence entre celui qui vous donne un conseil judicieux et celui qui, par incompétence ou incompréhension, risque de vous faire prendre un mauvais chemin, en toute bienveillance ?

Séparer le bon grain de l’ivraie, exige de mettre son égo de côté pour prendre suffisamment de recul. Il faut se méfier de la critique, comme du compliment. Ils peuvent être des pièges, des brouilleurs de pensée. 

Si, au lieu de juger votre travail, vous le jaugiez ? Avez-vous marqué des points dans le sens de votre objectif ?

Vous seul savez ce que vous avez envie de dire et comment. Si vous avez correctement déterminé votre propos, votre axe, alors, les critiques vous permettront de « jauger » là où vous en êtes. 

Une personne peut mal réagir parce que votre discours vient la déranger en profondeur ; rien à voir avec la qualité de votre travail.  A contrario, une personne peut être enthousiaste parce qu’elle vous aime bien ou parce qu’elle est admirative de votre travail précédent. Le pire étant la réception tiédasse d’un « oui, c’est sympa », « j’ai bien aimé », sans rien de plus. Là, vous pouvez être certain(e) que vous n’avez pas marqué vos points. Peut-être avez-vous été trop tièdes ? Si c’est le cas je vous rassure, cela n’est absolument pas grave, on gomme et on recommence ! 

Oui une œuvre d’art doit être vitale pour un artiste, pour lui permettre d’avoir un axe fort, d’affirmer sa singularité et ne pas céder à la facilité ; mais il a aussi le droit à l’erreur donc de recommencer, autant de fois qu’il est nécessaire pour aboutir à son but. 

Les mauvaises langues diront « tu n’auras pas droit à une deuxième chance ». Quelle horreur ! Vous la voyez cette langue perfide et destructrice sortir insidieusement de la bouche de ce serpent ? Le sourire sadique en prime ? Au-delà de la pression phénoménale que cette réflexion idiote met sur l’artiste, elle infuse une croyance négative particulièrement bloquante qui ne fera qu’engendrer le « syndrome de la perfection ». Résultat : votre œuvre reste dans un tiroir. 

L’échec n’est pas une condamnation à mort, seulement une expérience. Seuls ceux qui n’ont jamais essayés, n’ont jamais échoués. 

« Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » Winston Churchill.

Pour être artiste, il faut aimer jouer, parier et prendre des risques. Sinon, autant travailler dans une banque ! (Je tiens à préciser que je n’ai rien contre les personnes qui travaillent dans les banques)

Quoi qu’il en soit et quoi qu’il en coûte, la création est affaire de ténacité et de travail. Je déteste la réputation qu’ont les artistes d’être des fainéants, rêveurs, complètement à côté de la plaque. Je ne connais pas plus courageux, tenace et bosseur. Savoir remettre en question son travail, recommencer, se dépasser, et mettre à plat son égo, prendre le risque de l’opprobre en gardant la fougue et l’ambition de son projet… sont les super-pouvoirs des créateurs.

Si vous avez des doutes concernant votre œuvre, je vous invite à vous poser les questions suivantes :

  • Avez-vous correctement déterminé votre public cible ?

Si c’est le cas, peut-être votre œuvre n’est-elle pas en adéquation avec la mode, avec les attentes du public actuel, peut-être le sera-t-elle dans un an ou deux.

Par ailleurs, si votre œuvre ne rencontre pas le public en France, peut-être sera-t-elle mieux accueillie à l’étranger ? Ce qui ne plaît pas à Paris, peut plaire en province et inversement. Il est intéressant de sortir du cadre de vos habitudes et de vos croyances.

Si ce n’est pas le cas, faites-le. C’est primordial. Cela peut vous permettre de débusquer les hors sujet. Soyez précis et surtout ne soyez jamais complaisant en espérant toucher le plus grand nombre. Votre « public cible » au contraire doit être celui qui est le plus réfractaire à votre objectif (si vous l’avez convaincu, vous avez d’office convaincu les autres).

Ce qui nous amène à la deuxième question :

  • Est-ce que vous savez quel axe vous avez choisi de défendre précisément ? Quel est votre propos ? Qu’est-ce que vous avez envie de dire et pourquoi ? Avez-vous précisé votre objectif ?

Si la réponse est non, votre projet n’a probablement pas d’axe et manque de puissance. Recommencez.

Si la réponse est oui, avant de mettre le point final, posez-vous cette question primordiale : Ai-je été complaisant(e) ? Avec qui et avec quoi ? 

Si c’est le cas, alors, recommencez ! Recommencez jusqu’à ce que votre cœur vibre de Rage et de Joie.